La journaliste et productrice de documentaires Stéphanie Thomas, auteure du livre Mal de Mères paru le 6 octobre dernier, met les pieds dans le plat. Sujet sensible, tabou et même carrément inaudible pour certain(e)s, le regret d’être mère y est abordé sans détour. Au travers de témoignages de mères qui, si c’était à refaire, ne referaient certainement pas d’enfants, la journaliste soulève un sujet pourtant fondamental, existant depuis la nuit des temps: le mal-être généré par la maternité.
Guidée en partie par les travaux d’Orna Donath, sociologue et écrivaine israélienne, mais également par sa propre histoire familiale (l’auteure expliquera avoir décelé une forme de « regret » chez sa grand-mère paternelle), elle nous offre un panel d’histoires plus touchantes les unes que les autres, sans jugement, afin de permettre à toutes de pouvoir s’exprimer.
Un mal être difficile à déceler
Comme expliqué dans son livre, exprimer un regret est en général un moyen d’amoindrir sa « faute »; dans un tribunal, face à son crime, un accusé exprimant de sincères regrets a des chances de voir sa peine réduite s’il arrive toutefois à toucher le cœur des jurés. Le regret vient donc souvent à la suite d’un acte mauvais, répréhensible. Exprimer le regret d’être mère, c’est d’une manière implicite sous entendre que le fait d’enfanter est un acte condamnable: tout simplement inaudible pour nos sociétés, qui nous poussent à procréer, entretenant l’idée qu’une femme n’est complète qu’en étant mère, aboutissement ultime de la vie d’une femme, qui ne peut complètement s’épanouir que dans le fait de materner, puisque c’est bien la notre première fonction biologique non ?
« Tu comprendras quand tu auras des enfants », peut-on entendre de ces jeunes et moins jeunes mamans qui nous encouragent aussi, concernant l’amour infini, inégalable, primitif même que l’on ressent dès le premier regard sur son enfant… Mais une hiérarchie du savoir, et donc de la crédibilité n’est-elle pas sous entendue dans ces mots ? Une mère sait donc plus qu’une nullipare ? Les femmes sans enfant sont-elles condamnées à vivre dans un monde ou une partie du savoir leur est interdite ?
Et puis quand nous y venons enfin, avec même un désir très intense d’enfant, parfois à l’issue d’un terrible parcours PMA, et que non, nous ne sommes pas subjuguées d’amour, mais plutôt d’angoisse, de regrets, et d’émotions pas toujours merveilleuses, à qui en parler ? Comment exprimer alors ces sentiments dont on ne contrôle pas la venue, et dont nous ne sommes pas responsable ? La société décide-t-elle de ce qui « se dit » ou non ?
Comment trouver ces femmes, comment savoir puisqu’elles ne sont pas libres de s’exprimer sans risquer d’être pointées du doigt pour oser remettre en question LE bonheur ultime de toute femme ? L’auteure a eu l’ingénieuse idée de passer par des forums, qui garantissent l’anonymat des intervenant(e)s. Lançant un appel à témoin, Stéphanie a récolté des dizaines de témoignages, et a du faire un tri pour offrir plusieurs histoires et expériences très différentes, amenant pourtant toutes au même point : le regret d’être devenue mère.
Le post partum et autres surprises de la maternité
On découvre au fil des pages et des témoignages que le regret peut venir très tôt, dès le test de grossesse, mais aussi à la naissance, au retour à la maison, ou des semaines, des mois plus tard… Une question revient très régulièrement à la bouche des futures mères ou jeunes mamans : pourquoi ne m’a-t-on rien dit ?
Pourquoi ne m’a-t-on pas prévenue qu’alors débarrassée des règles, la grossesse pouvait offrir tout un panel de douleurs dont on entend peu ou pas parler ?
Bien sûr nous sommes averties des vergetures, aujourd’hui la médecine propose un accompagnement aux futurs mamans, une préparation à l’accouchement, mais combien de femmes tombent des nues devant le rayon « culottes post accouchement » en apprenant qu’une presque-hémorragie d’une durée allant de deux à six semaines va suivre la naissance? Alors même qu’elles auront entre les mains la responsabilité d’un (ou plusieurs) petit(s) être(s) qu’elles ne connaissent pas, dont elles ignorent tout, et complètement dépendant(s) d’elles ?
On entend beaucoup parler de baby-blues, et depuis peu, les langues se délient au sujet du post partum et de la dépression qui peut l’accompagner. D’ailleurs, une jeune mère submergée par des émotions et des questions à la naissance de son enfant a décidé de créer son propre documentaire sur le sujet, rassemblant des heures de témoignages de parents et spécialistes. Le sujet est vaste; la maternité fait très souvent remonter des traumatismes chez les mères, des angoisses: serai-je à la hauteur ? Vais-je reproduire le même schéma que mes parents ? Vais-je lui transmettre mes névroses ?
La pression sur l’éducation parfaite, que toutes les mères subissent, n’aide en rien : l’allaitement, l’alimentation avec le fait maison, laisser l’enfant pleurer ou pas, le faire dormir dans notre chambre ou pas, l’habituer aux bras au risque d’en faire un enfant roi, tant d’injonctions lancées par notre société, notre entourage. La pression est parfois si forte que les femmes n’arrivent même pas à s’entendre, à s’écouter, par peur de reproches, représailles, et surtout par peur de mal faire. La maternité, c’est avant tout une angoisse et une culpabilité dont on ne se défait pas, car son caractère irréversible n’est palpable qu’une fois enceinte, et même parfois, seulement à la naissance.
Une culpabilité inévitable
La culpabilité s’invite très vite dans la vie de la plupart des mères et ne leur laisse aucun répit. Chaque décision est souvent remise en question dans la minute : Ai-je été trop sévère / laxiste ? Aurais-je du insister sur le repas / devrais-je faire confiance à son appétit du haut de ses quelques mois ? Ai-je bien fait de le prendre dans mes bras si tôt / de le laisser pleurer ? Suis-je normale de vouloir tout laisser pour profiter de quelques instants de calme ? Est ce que cela fait de moi une mauvaise mère ?
Parlons d’instinct : pourquoi n’ai je pas été submergée d’amour à la rencontre de cet enfant ? Pourquoi le peau à peau ne m’apaise pas ? Pourquoi mon bébé ne se calme-t-il pas à mon contact; pire, pourquoi se met-il à pleurer dès que je le prends dans mes bras ? Pourquoi l’allaitement, « vendu » comme une expérience plutôt instinctive et sans aucun doute merveilleuse, m’apparait comme un véritable calvaire ? Et pourquoi l’idée de me retrouver avec lui/eux durant tout un weekend me provoque des crises d’angoisses ? Pourquoi suis-je ravie de le laisser dans les mains d’une nounou et de reprendre mon activité professionnelle, avide d’échanges avec d’autres adultes ? La responsabilité de la mère dans l’éducation de son enfant est omniprésente, implacable, étouffante.
Dès la grossesse, qui n’a pas entendu quelqu’un de son entourage prononcer ces mots meurtriers :« tout ce que tu ressens, ton enfant le ressent ». Fort bien ! Mais à part les stoïciens, qui contrôle ses émotions, ses ressentis, très souvent décuplés durant la grossesse, ses pics hormonaux et tous les bouleversements qu’elle amène ? Dés les premières semaines d’existence de l’enfant, la responsabilité de ce futur individu et de ce qu’il sera ne repose QUE sur les épaules de la mère.
Le film-documentaire sur Netflix, Petite Fille, traitant du sensible sujet de la dysphorie de genre chez l’enfant, met en évidence dés les premières minutes ce phénomène: la maman de Sasha, petite fille coincée dans le corps d’un petit garçon, répondra plusieurs fois à cette question : « qu’avez vous ressenti en apprenant que vous attendiez un garçon ? » – « de la déception », répondra avec sincérité la mère. Le débat n’est pas de savoir si oui ou non cette femme de part sa réaction (incontrôlée mais surtout incontrôlable) a conditionné le futur de son enfant; il s’agit ici de mettre à nouveau en évidence cette terrible responsabilité qui pèse sur les épaules maternelles.
Un engrenage aux lourdes conséquences
Le caractère tabou du sujet pousse certaines mères à se renfermer sur elles-mêmes, et la dépression ne tarde pas à pointer le bout de son nez. Les difficultés rencontrées durant une grossesse, l’accouchement, ses complications éventuelles, tous les bouleversements que l’arrivée d’un enfant peut engendrer au sein du couple, en soi aussi, le rapport au corps qui a souvent changé, qu’on doit se réapproprier dans une société encore intransigeante sur l’image de ces dames…
Et puis ce si petit être, qui fait tant de bruit ! Les pleurs des nourrissons sont faits pour ne pas être supportés par la mère, afin que celle-ci réagisse vite. Mais dans les premiers mois, le bébé ne peut évidemment s’exprimer qu’en pleurant, ce qui n’est d’ailleurs pas toujours significatif de mal être; cela n’enlève rien à la pénibilité du moment, jours et nuits, et les mères sont en alerte permanente durant cette période. Les « antennes » dehors, chaque bruit, pleur ou respiration empêche la mère de profiter d’une nuit de sommeil salvatrice, à une époque ou on préconise fortement le cododo pour le bien être de l’enfant… On sait tous les effets dévastateurs de la fatigue sur notre capacité à prendre du recul, et sans aide, tout peut aller très vite. Notre chère amie la culpabilité est la pour accélérer ce processus, face à ces autres femmes apparemment capables de gérer dans un bonheur absolu ces premiers mois si difficiles…
La remise en question, la confiance en soi qui en prend un coup, le sentiment de solitude, le bruit permanent et l’obligation de s’occuper de cet être 24h sur 24 quand on ne rêve que de souffler ou de dormir, autant de paramètres qui peuvent mener les mères à une détresse psychologique importante.
Alors on met les pieds dans le plat avec Stéphanie Thomas, dont on salue le courage et surtout l’immense bienveillance dont elle fait preuve pour permettre à toutes de s’exprimer, sans condition, sans jugement et sans honte, car nous sommes tous et toutes traversés d’émotions, de sentiments qu’on ne contrôle pas, et comme toujours, savoir que l’on n’est pas seul(e), ça fait déjà du bien.
- Thomas, Stéphanie (Auteur)