
Depuis la Martinique où je suis en reportage, je découvre chaque matin, en bord de plage, ce tapis brunâtre et odorant que les locaux n’appellent plus que par son nom : la sargasse ou sargassum pour les intimes. Elle envahit les rivages, recouvre les criques, étouffe les écosystèmes et chatouille les narines dès 8 h du matin… Pourtant, sous ses airs d’envahisseuse tropicale, cette algue brune inspire aujourd’hui les inventeurs du monde entier. De la construction durable à la planche de surf en passant par le carburant automobile, la sargasse a su, comme souvent dans la nature, retourner le problème en solution. Et, j’ai eu envie de vous raconter ces belles histoires, entre deux averses créoles.
Les sargasses, qu’est-ce que c’est exactement ?
Les sargasses ou sargassum, de leur nom scientifique, sont des algues brunes flottantes, qui prolifèrent à la surface des eaux chaudes de l’Atlantique. Contrairement à leurs cousines enracinées, elles dérivent librement en formant de vastes radeaux végétaux. Ces bancs, qui font parfois plusieurs kilomètres de long, s’échouent massivement entre avril et octobre sur les côtes de la Caraïbe, du golfe du Mexique, de la Guyane, de la Guadeloupe… et de la Martinique donc. Leur présence n’est pas nouvelle, mais leur explosion depuis une dizaine d’années, exacerbée par le changement climatique et les apports en nitrates des activités humaines, a bouleversé l’équilibre.
Oui, les sargasses jouent un rôle écologique dans leur habitat naturel. Mais, une fois échouées, elles deviennent un véritable fléau : elles libèrent hydrogène sulfuré et ammoniac, provoquant nausées, corrosion et dégâts environnementaux. Des tonnes d’algues sont ramassées chaque semaine, au prix fort. Alors quand des cerveaux ingénieux s’en emparent pour en faire du béton, du carburant ou des objets écologiques, on tend l’oreille. Découverte.
Des briques écolos à base de sargasses : le pari osé du Sargablock
C’est l’histoire d’un jardinier mexicain, Omar de Jesús Vázquez Sánchez, qui nettoyait les plages de la Riviera Maya, noyées sous les sargasses depuis 2015. Et, qui, en lieu et place de ces kilos d’algues pestilentielles, a vu une opportunité : créer une brique de construction écologique. Ainsi naquit le Sargablock, un matériau durable, local, peu cher… et étonnamment résistant. L’idée ? Adapter une machine à adobe pour compresser un mélange de 40 % de sargasses et 60 % d’autres matières organiques. Une fois moulés, les blocs sont séchés au soleil pendant quatre heures, puis directement utilisables pour bâtir des maisons. Depuis 2021, près de 6 000 tonnes d’algues ont ainsi été recyclées dans sa petite usine de Mahahual.
La première maison 100 % Sargablock, baptisée Casa Angelita en hommage à sa mère, a même vu le jour. Et, ce n’est qu’un début : une quinzaine de logements ont été offerts à des familles modestes et des demandes affluent désormais depuis la Jamaïque, la Barbade, la République dominicaine ou encore la Malaisie ! Au-delà de la simple idée écologique, c’est tout un modèle économique circulaire et social que Vázquez Sánchez a initié, en mobilisant plus de 300 familles locales pour la collecte et la transformation des algues. Retrouvez l’intégralité de cet article en cliquant ici.
Du carburant à base de sargasses : Rum and Sargassum, l’initiative barbadienne qui carbure
Toujours dans les Caraïbes, mais cette fois à la Barbade, une autre aventure commence. La start-up Rum and Sargassum, emmenée par la chercheuse Legena Henry, transforme les sargasses… en biocarburant pour les voitures. Une alternative maligne aux carburants fossiles, difficilement remplaçables sur cette île dans laquelle les voitures électriques coûtent encore trop cher. Leur procédé ? Mélanger les algues avec… les eaux usées des distilleries de rhum, un autre déchet très local. Ce cocktail improbable donne naissance à un biocarburant breveté en 2019, capable d’alimenter jusqu’à 2 000 véhicules si la production est soutenue. La Barbade, qui souhaite éliminer les carburants fossiles d’ici à la fin de la décennie, tient peut-être là une solution hybride et durable. Mais, cela a un coût : près de 7 millions de dollars pour alimenter 300 véhicules, selon les projections. Le potentiel, lui, est immense. La start-up estime que son biocarburant pourrait réduire de 14 millions de tonnes par an les émissions de CO2 de l’île, tout en valorisant un fléau naturel. Retrouvez l’intégralité de cet article en cliquant ici.
Un robot solaire pour faire disparaître les sargasses : bienvenue AlgaRay
Mais si l’on ne veut ni construire, ni rouler avec la sargasse, on peut tout simplement… la désintégrer dans l’océan. C’est le pari fou, mais crédible de Seaweed Generation, une ONG britannique qui a mis au point le robot AlgaRay, inspiré des raies manta. Ce nageur solaire collecte les amas d’algues en mer, les broie, puis les immerge à plus de 200 m de profondeur, là où elles ne remontent plus. Le prototype, actuellement testé à Antigua, est un condensé de technologie verte : panneaux solaires, batterie au lithium, navigation satellite Starlink… Chaque machine pourrait envoyer 80 000 tonnes d’algues au fond des mers chaque année, évitant leur décomposition en surface et la libération de gaz à effet de serre. D’après les ingénieurs, cela permettrait d’éviter l’émission de 8 000 tonnes de CO2 par an. Et, la version XXL du robot, actuellement en développement, promet d’être 10 fois plus grande. Retrouvez l’intégralité de cet article en cliquant ici.
Du surf écolo à base d’algues : Paradoxal Surfboards en Bretagne
Mais, le plus inattendu, c’est sans doute de retrouver les sargasses… sur les planches de surf ! Et, pas dans les vagues de Guadeloupe ou de Cuba, non : en Bretagne, grâce à l’entreprise Paradoxal Surfboards. Son créateur, Jérémy Lucas, veut révolutionner la glisse avec des planches 100 % biosourcées et imprimées en 3D. Et, dans leur cœur, on trouve… les fameuses algues brunes. L’idée : remplacer le polystyrène ou polyuréthane (issus du pétrole) par des matériaux à base de poudre d’algues d’échouage. La sargasse, une fois broyée, est combinée à un biopolyester recyclable. Résultat : une matière légère, résistante, et parfaitement adaptée à la pratique du surf. Bonus : l’impression 3D permet un design optimisé, sans chute de matière, et une empreinte écologique minimale. La structure alvéolée inspirée des diatomées marines donne à ces planches un look unique et une solidité impressionnante. À terme, Paradoxal Surfboards veut créer des planches intégralement organiques, sans aucune trace de pétrochimie. Retrouvez l’intégralité de cet article en cliquant ici.
MarinaTex : un plastique biodégradable aux algues (et aux arêtes de poisson !)
Et, si je vous disais qu’une étudiante anglaise a réussi à fabriquer du plastique… à partir d’algues et de peau de poisson ? Oui, oui, vous avez bien lu. Lucy Hughes, diplômée de l’université du Sussex, a mis au point un bioplastique écologique baptisé MarinaTex, à base de déchets de l’industrie de la pêche (écailles, peau) et d’agar, un gélifiant naturel extrait des algues rouges.
Ce matériau étonnant, à la fois souple, translucide et solide, peut remplacer les emballages plastiques à usage unique. Et le plus bluffant ? Il se décompose entièrement en 4 à 6 semaines, sans laisser de trace. Loin d’un gadget de fin d’études, MarinaTex a décroché le prestigieux prix James Dyson et un joli chèque de 30 000 livres pour pousser plus loin l’innovation. Comme quoi, les algues n’ont pas fini de remplacer le pétrole, même dans nos sachets de sandwiches ! Retrouvez l’intégralité de cet article en cliquant ici.
Pléco, l’aspi-robot suisse qui rêvait de chauffer nos maisons avec des algues
On termine ce tour du monde des sargasses utiles avec une invention suisse au nom rigolo : Pléco, comme le petit poisson nettoyeur des aquariums. Imaginé par la start-up Avalgo Sàrl, ce robot aquatique avait pour mission de débarrasser les lacs d’algues envahissantes… tout en les valorisant ! Une fois aspirées, les algues étaient compactées, séchées, puis transformées en pellets de chauffage, engrais pour le jardin ou nourriture pour animaux. Un vrai couteau suisse de la décomposition aquatique. Même si le projet semble aujourd’hui en pause, il prouve qu’on peut envisager des solutions locales et circulaires à un problème global. Et, entre nous, chauffer sa maison avec des sargasses plutôt qu’avec du bois, c’est quand même une sacrée revanche pour ces algues mal-aimées. Retrouvez l’intégralité de cet article en cliquant ici.
Et, dans l’assiette, on peut en faire quoi, des sargasses ?
Alors, après le béton, le carburant, les robots et le surf… peut-on manger les sargasses ? La réponse est non. Contrairement à certaines algues comestibles comme le wakamé, la nori ou la laitue de mer, la sargasse contient des métaux lourds, parfois absorbés depuis les zones polluées où elle dérive.
Sans traitement spécifique, elle n’est pas comestible, ni pour les humains, ni pour les animaux. Cela dit, certains chercheurs explorent des pistes d’utilisation en complément alimentaire pour bétail, ou comme engrais organique. D’ailleurs, c’est par ce biais que le jardinier mexicain Sánchez avait commencé à recycler ses premières algues. Comme quoi, avant d’entrer dans les maisons, la sargasse avait d’abord fertilisé des salades… Et, vous, que feriez-vous de cette algue un peu envahissante, mais très prometteuse ?
En Martinique, la guerre contre la sargasse continue chaque jour, à coups de pelleteuses et de seaux en plastique. Mais, en écoutant toutes ces initiatives ingénieuses, je me dis qu’un jour, peut-être, les tonnes d’algues qui s’échouent ici seront vues non plus comme un fardeau, mais comme une ressource à valoriser. En attendant, je vous pose la question : si vous aviez une plage pleine de sargasses devant chez vous, vous en feriez quoi ? Du béton ? Du carburant ? Un surf design ? Ou autre chose encore ? Les paris sont ouverts. Ce sujet vous intéresse ? N’hésitez pas à nous donner votre avis, ou à partager avec nous, votre expérience. Merci de nous signaler toute erreur dans le texte, cliquez ici pour publier un commentaire .